Le dimanche 6 juin 1824, allant présenter ses hommages à la cour, Chateaubriand apprend par Pilorge, son secrétaire, l’ordonnance du Roi, Louis XVIII, stipulant son remplacement au ministère des affaires étrangères par Villèle ((« Le sieur comte de Villèlle, président de notre conseil des ministres, et ministre secrétaire-d’état au département des finances est chargé par interim du portefeuille des affaires étrangères, en remplacement du sieur conte de Chateaubriand. Le président de notre conseil des ministres est chagé de l’exécution de la présente ordonnance, qui sera insérée au bulletin des lois. » Paru le 7 juin 1824.)). Il n’est plus ministre, « …comme si j’avais volé la montre du roi sur la cheminée. » ((Lettre à François-Dominique de Montlosier: « Au reste vous voyez que l’on m’a mis à la porte comme si j’avais volé la montre du roi sur la cheminée. » Paris, le 18 juin 1824)) prolongeant ses mémoires un rien vaniteux: « Je fus renversé le 6 juin 1824; le 21 j’étais descendu dans l’arène; j’y restai jusqu’au 18 décembre 1826: j’y entrai seul, dépouillé et nu, et j’en sortis victorieux. » ((Mémoires d’outre-tombe, Livre XXVIII, Chapitre 7.)) Sa vive opposition à Villèle et Corbière débute; celle-ci en appui, certainement par prétexte, de son engagement pour la liberté de la presse. Dès le 21 juin 1824 il lance sa première réplique dans le Journal des Débats ((Journal des Débats daté du 22 juin 1824.)). D’autres articles suivent. Le 16 août, Villèle décrète la censure, Chateaubriand rétorque par une brochure (( De la censure que l’on vient d’établir en vertu de l’article 4 de la loi du 17 mars 1822. Chez Le Normant, Paris.))qui sera plusieurs fois rééditée, le 20 puis le 26 août.
Ne doutons pas d’un Chateaubriand qui brille par ses convictions, seulement d’un homme malgré son succès de la guerre d’Espagne et ses idées démentielles pour la France et l’Europe (( lettre de Chateaubriand au comte Marcellus.)), avait rapidement compris l’impossibilité de son action gouvernementale.
Le texte présenté à la suite sera repris dans le tome XXVI des oeuvres complètes, publié par Ladvocat.
Paris, 21 juin 1824.
C’est un des caractère de l’esclave d’applaudir à sa propre dégradation, de parler de son propre métier avec une humilité voisine de la bassesse.
Un journal nous apprend aujourd’hui que
« les petites illusions des vanités déchues et des ambitions trompées n’ont plus de refuge que dans les journaux, et n’en sortent pas. Le pouvoir s’est relevé à la hauteur qui lui appartient, entre le trône et la tribune, et personne en France n’est dupe des gazettes qui, dans une monarchie constitutionnelle, disparaissent devant l’éloquence parlementaire. »
Le journal qui croit ainsi rehausser le pouvoir ministériel aux dépens des gazettes, comprend-il lui-même jusqu’à quel point il confond les doctrines de la monarchie constitutionnelle?
Sans doute, les journaux ne sont rien en comparaison du pouvoir social, du trône, de la tribune. Ce ne sont pas même des choses comparables; elles sont de deux ordres différents.
Personne n’a jamais pensé à considérer un journal comme un pouvoir politique; c’est un écrit exprimant une opinion; et si cette opinion réunit à elle la pluralité des hommes éclairés et considérés, elle peut devenir un grand pouvoir.
C’est le pouvoir de la vérité ; il n’y a rien de si haut dans l’ordre moral, il n’y a rien qui ne disparoisse devant cette force éternelle.
Dans l’ordre des choses politiques, les journaux sont un organe par lequel les citoyens expriment leur opinion sur les affaires publiques.
C’est bien quelque chose dans une monarchie constitutionnelle. Aussi dans cette Angleterre, que notre adversaire cite avec admiration, des hommes tels que Pitt, Burke, Fox, Liverpool, Canning, etc., n’ont pas cru dégrader leur éloquence parlementaire en la pliant aux formes d’un journal. Ce qui est assez curieux, c’est que, de tous nos ministres passés et présents, et de tous ceux qui paraissent aspirer à leur succéder, il n’en est pas un seul qui n’ait écrit dans les journaux lorsqu’il s’en sentait la force, ou qui, dans le cas contraire, n’y ait fait écrire ses amis plus habiles et plus éloquents.
Si notre adversaire eût été un royaliste, même ministériel, nous lui aurions demandé si ce n’est pas par le moyen des journaux, ou des écrits sortis de la plume des rédacteurs des journaux, que les doctrines de la monarchie légitime et constitutionnelle ont repris leur ascendant sur tous les esprits éclairés et sur tous les coeurs généreux.
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