J’ai parlé de l’état intérieur de la France, relativement la politique (( Voyez la 3e Livraison du Conservateur.)).
J’ai dit que le système ministériel tend à faire sortir le despotisme des principes populaires; qu’il veut former une royauté sans royalistes, une monarchie sans bases monarchiques.
J’ai annoncé que nos lois fondamentales, ouvrages irréfléchis du ministère, le meneroient malgré lui à la démocratie: on vient de voir le commencement du résultat prévu de la loi des élections. L’opinion démocratique l’emporte et l’emportera toujours par cette loi, si les manoeuvres des autorités échouent, si l’on continue à obliger les royalistes de se réfugier dans l’opposition.
Maintenant, je vais considérer le système ministériel dans ses effets moraux: ici, le mal est grand; la plaie est au coeur.
Le ministère a inventé une morale nouvelle: la morale des intérêts. Celle des devoirs est abandonnée aux imbéciles.
Or, cette morales des intérêts, dont on ne veut faire la base de notre gouvernement, a plus corrompu le peuple dans l’espace de trois années que la révolution entière dans un quart de siècle. Ce qui fait périr la morale chez les nations, et avec la morale les nations elles-mêmes, ce n’est pas la violence, mais la séduction: et par séduction, j’entends ici ce que toute fausse doctrine a de flatteur et de spécieux. Les hommes prennent souvent l’erreur pour la vérité, parce que chaque faculté du coeur ou de l’esprit a sa fausse image: la froideur ressemble à la vertu, la raisonner à la raison, le vide à la profondeur; ainsi du reste.
Donc le dix-huitième siècle fut un siècle destructeur, car nous fûmes tous séduits. Nous rîmes de la religion; nous dénaturâmes la politique; nous nous égarâmes dans de coupables nouveautés de paroles. Au lieu de regarder en haut, nous regardâmes en bas, cherchant l’existence sociale dans la dégradation de nos moeurs, dans les principes populaires: nous commencions à avoir ce que l’Ecriture appelle les vices des derniers temps: mot profond.
La révolution vint nous réveiller: en poussant le Français hors de son lit, elle le jeta dans la tombe. Toutefois le règne de la terreur est peut-être de toutes les époques de la révolution , celle qui fut la moins dangereuse à la morale. Pourquoi ? Parce qu’aucune conscience n’étoit forcée: le crime paroissoit dans sa franchise. Des orgies au milieu du sang, des scandales qui n’en étoient plus à force d’être horribles; voilà tout. Les femmes du peuple venoient travailler à leurs ouvrages domestiques, autour de la machine à meurtre, comme à leurs foyers: les échafauds étoient les moeurs publiques, et la mort le fond du gouvernement. Rien de plus net que la position de chacun; on ne parloit ni de spécialité, ni de positif, ni de système d’intérêts. Ce galimatias des petits esprits et des mauvaises consciences étoit inconnu. On disoit à un homme: » Tu es chrétien, noble, riche: meurs; » et il mouroir. Antonelle écrivoit qu’on ne trouvait aucune charge contre tels prisonniers, mais qu’il les avoir condamnés comme aristocrates. Monstrueuse franchise, qui nonobstant laissoit subsister l’ordre moral; car ce n’est pas de tuer l’innocent comme innocent qui perd la société, c’est de le tuer comme coupable.
Le Conservateur (Paris. 1818)
Source: Bibliothèque nationale de France
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